Sun 12 November 2023, marcj
Avez-vous déjà discuté avec quelqu’un qui vous déclare, ou qui au moins semble RÉELLEMENT penser, que l’avenir de l’humanité passe par l’expatriation sur une exoplanète ?
C’était devant le restaurant universitaire, lors d’une anodine discussion avec un élève de l’École Normale Supérieure, que j’ai pris conscience de cela : il existe des gens qui y croient vraiment. Sur Terre, c’est foutu, donc il faut envisager de partir pour assurer une survie à l’humanité. C’est d’ailleurs ce que disait aussi feu le brillant scientifique Stephen Hawking.
Sur ce sujet, les gens les plus réalistes parlent d’aller coloniser Mars. Mais la planète rouge, même si son atmosphère contient des traces de vapeur et qu’il y a de la glace sur ou sous sa surface, ça reste un gros caillou aride et glacé où l’eau liquide ne peut subsister.

(Système solaire, Daniel Felipe, OpenClipArt)
La conquête spatiale 4.0, au-delà de notre système solaire, c’était d’ailleurs le thème d’une émission en plusieurs parties sur Arte : L'odyssée interstellaire (1). Bien qu’on y voit des scientifiques passionnés, des étoiles plein les yeux, décrivant tous les défis immenses à réaliser pour envoyer un vaisseau vers une exoplanète, ces gens restent assez réalistes et n’envisagent pas de voyage habité. L’exoplanète la plus proche, apparemment habitable, est Proxima Centauri b, située à une distance d'environ 4 années-lumière. Donc si après une phase d’accélération progressive d’un an, on arrivait à 1/10 de la vitesse de la lumière, on rejoindrait l’exoplanète en 40 ans. Évidemment, à cette vitesse, croiser la trajectoire du moindre caillou serait fatal ou alors le vaisseau doit être d’une robustesse encore aujourd’hui inconnue. Il y a plein d’autres défis techniques inédits à relever et résoudre, dont le moindre n’est pas de devoir dominer de manière courante la fusion nucléaire, seule à même d’éviter au vaisseau de devoir charger des tonnes de carburants nécessaires à l’énergie du vaisseau.
Il y a donc loin du rêve à la réalité ! Et on s’en rend compte quand on entend parler du dernier projet de la très sainte NASA, un voyage aller-retour habité sur la Lune en 2024/2025. Un petit pas pour les astronautes concernés, mais un grand pas pour l'humanité ? Ah non, ça c’était il y a déjà cinquante ans. Le journal britannique The Guardian a justement publié les photos restaurées des voyages lunaires des années 1970. (2)
A entendre parler des projets actuels et futurs, on en oublierait presque qu’on y est déjà allé sur la Lune ! Car oui, aller sur la Lune, c’est en quelque sorte revenir cinquante ans en arrière, au moins symboliquement. Et Mars représente encore un énorme défi. Alors de là à coloniser (à s’enfuir sur ?) une autre planète pour assurer la survie de l’humanité ...
Bref, l’idée générale et habituelle selon laquelle les sciences et les techniques avancent à pas de géant dans tous les domaines est une chose, prétendre qu’on pourra dépasser un jour les limites que la science physique elle-même nous impose en est une autre. Il faut d’ailleurs se méfier là des raisonnements inductifs. Au contraire des raisonnement déductifs qui se basent sur des prémisses connues et doivent fournir des preuves à chaque étape, les raisonnements inductifs procèdent par analogie à partir d’observations, pour en inférer des conclusions sur des choses futures. Par exemple, cela consiste à dire que, puisque durant les deux cents dernières années, l’humanité a fait des progrès scientifiques et techniques considérables, réalisé des choses qui étaient inimaginables dans le passé, il en sera de même dans le futur. D’ici deux cents ans, on peut espérer qu’on aura su relever des défis qu’on imagine à peine aujourd’hui.
Or ce genre de raisonnement inductif n’appartient pas véritablement au champ de la science, mais plutôt aux champs du rêve et de la volonté de toute puissance. Ne serait-ce pas une sorte de foi en l’homme, en sa science et en ses techniques ? Cela ne serait pas aussi gênant si ça ne consistait pas, en pratique, à une fuite en avant qui ne veut pas reconnaître ses limites et au refus de voir les conséquences de cette volonté de toute-puissance de l’humanité (enfin, pas de toute l’humanité, surtout de l’homo consumens occidental).
D’ailleurs, avez-vous remarqué qu’il en est de la conquête spatiale comme de la lutte contre le vieillissement, avec la notion récente de transhumanisme ? Ici on s’avance un peu dans l’espace, là on identifie quelques facteurs de vieillissement contre lesquels on pense pouvoir lutter et hop, on s’imagine déjà immortel et sur une exoplanète !
Alors oui à la science mais résistons à la volonté infantile de toute puissance, c’est elle qui détruit notre environnement.